Le "rendez-vous du samedi" de Jean-Yves Le Dréau 2009

Coup de soleil

Nous avions fini par en douter. L'hiver existe toujours. Il a même pris ses quartiers chez nous...

pendant une bonne quinzaine. Températures négatives, gelées et givre, soleil pâle mais ciel bleu. Nous nous sommes calfeutrés, réchauffés et avons consommé beaucoup d'énergie. Au point que, pour soulager le réseau, à Fouesnant comme dans d'autres villes, on a décidé d'arrêter plus tôt que prévu les illuminations de Noël et de supprimer l'éclairage public sur une partie de la commune, le temps de retrouver une situation normale. En fait, il ne nous a manqué que la neige (nous devons être l'une des seules régions à n'avoir pas vu voleter un flocon) pour que l'illusion de revivre les hivers d'antan (mais, doit-on faire confiance à notre mémoire ?) soit parfaite. Pourquoi toutes ces considérations météorologiques ? Parce que j'ai tout de même pris un coup de soleil. Séances de rayons UV en cabine ? Escapade exotique ? Point. Visite de l'exposition Koutchevsky à l'Archipel, tout simplement.

Le peintre fouesnantais, connu aux Etats-Unis comme au Japon, n'avait jamais encore exposé à Fouesnant. Nul n'est prophète en son pays. Voilà cette incongruité effacée. Durant deux mois, cet artiste hors-norme fait flamboyer ses grandes toiles colorées au coeur de l'hiver et nous prend par la main pour nous faire rêver. Peintre abstrait, Koutchevsky avec ses grandes plages de couleurs chaudes qui envahissent toute la toile ? Non, peintre réaliste plutôt. L'artiste retranscrit, en effet, l'émotion qui le saisit devant l'exacte réalité de la nature. Celle qui échappe à notre regard perverti par l'habitude et l'inattention. Son ambition : saisir l'insaisissable. Il capte les chatoiements, les irisations, les scintillements, les reflets qui font chanter les paysages. La lumière fait vibrer les grandes étendues ocres, le vent estompe le souvenir d'une présence humaine dans le désert. Au rythme des saisons, Koutchevsky se laisse séduire par les sortilèges de la métamorphose qui abolit les formes. L'éclosion du printemps installe dans les arbres ce brouillard vert cher à Charles Cros. Le soleil de l'été éclabousse les sols calcinés qui révèlent leurs déchirures secrètes. Tandis qu'à Cleut-Rouz, les vagues, filles des tempêtes de l'hiver, se figent, écumantes, avant de poursuivre leur travail de sape qui met à mal le littoral fouesnantais. En piégeant les variations de la lumière, en traquant les subtiles nuances, les mutations d'une nature, constamment effervescente mais totalement harmonieuse, Koutchevsky nous permet de nous évader d'un quotidien de grisaille et de malaise. Par les temps qui courent, ce n'est pas un luxe. C'est une bénédiction.

Jean-Yves Le Dréau